Légende

C’était un pauvre chevalier,
Un homme silencieux et simple,
Livide et farouche d’aspect,
Plein de droiture et de courage.

Il avait eu une vision
Que nul esprit ne peut comprendre ;
Il en gardait le souvenir
Au fond du cœur profondément.

Un jour qu’il allait à Genève,
Sur le chemin, près d’une croix,
Il aperçut la Sainte Vierge,
La Mère de Notre Seigneur.

Depuis lors, le cœur embrasé,
Il ne regarda plus les femmes ;
Jusqu’à la tombe il refusa
De leur dire le moindre mot.

Depuis lors, il garda baissée
La grille d’acier de son heaume.
À son cou, en place d’écharpe,
Il suspendit un chapelet.

Plus jamais notre paladin
N’adressa de prière au Père,
Ni au Fils, ni à l’Esprit Saint ;
C’était un homme fort étrange.

Mais il passait des nuits entières
Devant la face de la Vierge,
La regardant plein d’affliction,
Versant des larmes abondantes.

Toujours plein de foi et d’amour,
Fidèle à son rêve, il peignit
Avec son sang sur son écu
Ces mots : Ave, Mater Dei.

Cependant que les paladins,
Par les plaines de Palestine
Couraient à l’ennemi tremblant
Disant haut le nom de leurs dames,

Lui s’écriait, plus fort qu’eux tous :
« Lumen cœli, Sancta Rosa »,
Et sa menace dispersait
De toutes parts les Infidèles.

Puis il revint dans son château ;
Il y vécut claquemuré ;
Toujours épris, toujours chagrin.
Il trépassa sans communier.

À l’instant où il rendit l’âme,
Le Malin se précipita.
Il était prêt à emporter
Le chevalier dans son empire.

 

« Il ne priait pas Dieu, dit-il,
Il ne respectait pas le jeûne.
Il courtisait la Sainte Vierge
D’une manière inconvenante. »

Mais la Mère du Pur Amour
Intercéda pour le pauvre homme
Et fit entrer son paladin

Dans le Royaume de Lumière.