ROUSLAN ET LUDMILA (Prologue)

Il y a sur le bord de l’île un arbre vert ;
Sur cet arbre une chaîne d’or.
Et jour et nuit un chat savant
Passe et repasse sur la chaîne.
S’il va à droite, il chante une chanson ;
S’il va à gauche, il dit des contes.
Là-bas tout est merveille : un lutin se promène,
Sur une branche une ondine est assise,
Là-bas des sentiers inconnus
Portent traces de bêtes jamais vues.
Là-bas l’isba sans porte ni fenêtres
Est perchée sur des pattes de poules
La vallée, la forêt sont pleines de visions.
À l’aube là-bas les vagues déferlent
Sur le sable désert de la plage.
Et trente superbes guerriers
Sortent des flots clairs en bon ordre.
Leur précepteur vient aussi de la mer.
Le fils du roi, là-bas, sur son chemin,
Fait prisonnier le tsar terrible.
Là-bas, aux yeux de tout un peuple,
Au-dessus des mers et des bois,
Le magicien emporte un chevalier.
Dans sa prison la princesse soupire,
Mais le loup gris la sert fidèlement.
Là-bas le mortier de Baba Yaga
Court en tous sens au gré de son caprice.
Là-bas le roi Kachtcheï s’étiole sur son or. 
C’est là l’esprit de la Russie !
C’est là l’odeur de la Russie !
J’étais là-bas, j’ai bu de l’hydromel.
J’ai vu l’arbre vert sur la rive.
Je me suis assis là, et le chat savant
M’a dit ses contes…
J’ai gardé l’un d’eux en mémoire. Et maintenant
Je vais le raconter à tout le monde.