Angelo Poliziano

 

 

FABULA DI ORFEO

 

 

MERCURE, héraut de la fête.

Silence. Ecoutez. Il y eut jadis un berger,
fils d'Apollon, appelé Aristée :
cet homme aima d'une passion sans retenue
Eurydice qui fut la femme d'Orphée,
si bien que la poursuivant un jour par amour
il fut la cause de son destin dur et cruel,
car, comme elle le fuyait au bord de l'eau,
un serpent la mordit et elle tomba morte.
Orphée par son chant la reprit à l'enfer,
mais il ne put observer la loi imposée :
le malheureux, en chemin, se retourna,
et elle lui fut à nouveau enlevée ;
aussi ne voulut-il plus aimer de femmes,
et c'est par les femmes que lui fut donnée la mort.

Parle ensuite un BERGER ILLYRIEN (1)

Attention, la compagnie. Favourable présange :
des chieux en terre vient Marcure.

MOPSE, vieux berger

As-tu vu mon petit veau blanc
qui a une tache noire sur le front
et deux pieds, le genou et le flanc rouges ?

ARISTEE, jeune berger

Mon cher Mopse, au pied de cette fontaine
les troupeaux ne sont pas venus ce matin,
mais j'ai entendu mugir derrière la montagne.
Va, Tircis, essaie de savoir si tu l'entends.
Toi, Mopse, tu resteras entre-temps avec moi
car je veux que tu écoutes un peu ma plainte.
J'ai vu hier, sous cette grotte ombreuse
une nymphe plus belle que Diane
accompagnée d'un jeune amant
Dès que j'ai vu son aspect plus qu'humain,
soudain mon cœur a tressailli dans ma poitrine
et mon esprit est devenu fou d'amour ;
si bien que je n'éprouve plus aucun plaisir, Mopse,
mais je pleure toujours, et je n'ai plus goût à la nourriture,
et je suis resté dans mon lit sans dormir un instant.

MOPSE, berger

Mon Aristée, cette torche d'amour,
si tu ne t'efforces pas de l'éteindre au plus tôt,
tu verras bientôt troublée toute ta paix.
Sache qu'amour n'est pas pour moi chose neuve ;
je sais comme il est dur à gouverner quand il est vieux :
il faut y remédier tant que les remèdes agissent.
Si tu acceptes, Aristée, ses dures lois
tu ne penseras plus aux essaims d'abeilles ni aux jardins,
ni aux vignes, aux blés, aux pâturages, aux enclos, ni aux troupeaux.

ARISTEE, berger

Mopse, tu parles à des morts ;
ne gaspille pas avec moi tes paroles,
de peur que le vent ne les emporte.
Aristée aime, et ne veut pas cesser d'aimer,
il ne cherche pas à guérir de ce doux mal :
Amour approuve celui qui souffre bien par lui.
Mais si tu te soucies de mes volontés,
Hélas, tire de ton sac ta musette ;
et chantons sous les ombrages,
peut-être ma nymphe souhaite-t-elle mon chant.

CHANSON DE BERGERS

Ecoutez, forêts, mes douces paroles,
puisque la nymphe ne veut pas m'écouter.
La belle nymphe est sourde à ma plainte,
elle n'a pas souci de ma flûte ;
mon troupeau cornu s'en plaint ;
il ne veut pas plonger le museau dans l'eau pure,
ni toucher à la tendre verdure,
tant il souffre et s'afflige pour son berger.
Ecoutez, forêts, mes douces paroles.
Le troupeau a souci du berger,
la nymphe n'a pas souci de l'amant,
la belle nymphe qui a le cœur de pierre,
et même de fer, et même de diamant ;
elle fuit toujours devant moi
comme l'agnelle a coutume de fuir le loup.
Ecoutez, forêts, mes douces paroles.
Dis-lui, ma musette, que fuit
avec les années sa beauté passagère,
dis-lui que le temps nous défait
et que les jours perdus ne reviennent pas ;
dis-lui qu'elle apprenne à jouir de sa beauté
car roses et violettes ne sont pas toujours là.
Ecoutez, forêts, mes douces paroles.
Portez, vents, ces doux vers
aux oreilles de ma nymphe,
dites-lui combien pour elle je verse de larmes,
suppliez-la de n'être pas cruelle,
dites-lui que ma vie me fuit
et se défait comme givre au soleil.
Ecoutez, forêts, mes douces paroles,
puisque la nymphe ne veut pas m'écouter.

MOPSE, berger, répond :

L'agréable murmure
des eaux fraîches qui tombent d'un rocher,
ni le souffle d'une brise légère
dans les cimes des pins qui sonnent alors comme des trompettes,
rien ne divertit aussi bien
que tes poèmes quand ils résonnent ;
si elle entend, elle viendra comme un petit chien familier.
Mais voici Tircis qui descend de la montagne.

MOPSE continue :

Et le veau ? L'as-tu retrouvé ?

TIRCIS, esclave, répond :

Oui. Et je lui aurais bien coupé le cou ;
il m'a presque étripé;
il courait pour m'encorner.
Je l'ai remis dans l'enclos ;
mais je peux te dire qu'il en a plein le ventre,
je peux te dire qu'il s'est rempli la panse
dans ce champ de blé, jusqu'à crever.
Mais j'ai vu une jolie fille
qui va cueillir des fleurs sur la montagne ;
je ne crois pas que Vénus soit plus belle,
ait le geste plus doux, le front plus majestueux,
parle et chante avec tant de grâce,
car elle ferait revenir les fleuves à leur source :
elle a le visage de neige et de rose, la tête d'or,
elle est seule et vêtue de blanc.

ARISTEE, berger :

Reste ici, Mopse. Je veux la suivre ;
c'est celle dont je t'ai parlé.

MOPSE, berger :

Prends garde, Aristée, que ton excessive ardeur
ne te conduise à quelque malheur.

ARISTEE, berger :

Ou il faut qu'aujourd'hui je meure
ou que je tente la puissance de mon destin.
Reste, Mopse, près de cette fontaine ;
je veux aller la trouver sur la montagne.

MOPSE à Tircis :

O Tircis que dis-tu de ton cher maître ?
vois-tu comme il est hors de sens ?
Tu devrais quelquefois lui dire
quelle honte lui fait cet amour.

TIRCIS répond :

O Mopse, à l'esclave il convient d'obéir ;
fou qui commande à son maître :
je sais qu'il est plus sage que nous.
Il me suffit de garder vaches et bœufs.

ARISTEE à Eurydice :

Ne fuis pas, jeune fille,
je te suis ami
et je t'aime plus que la vie et le cœur. (2)
Ecoute, belle nymphe,
écoute ce que je te dis,
ne fuis pas, nymphe, car j'ai de l'amour pour toi ;
je ne suis pas ici un loup ou un ours,
mais je suis ton amoureux :
ralentis donc ta course.
Puisque supplier ne sert de rien
et que tu t'éloignes,
il faut que je te suive :
donne-moi, Amour, donne-moi tes ailes.

ORPHEE sur la montagne chante accompagné de sa lyre les vers latins suivants que le seigneur Baccio Ugolino qui jouait le rôle d'Orphée a récités exprès en l'honneur du caredinal de Mantoue. Il est interrompu par un berger qui annonce la mort d'Eurydice.

O toi qui longtemps a mis en musique les jeux
que l'amour enseignait à ma première jeunesse,
change maintenant de rythme et dis,
lyre, un nouveau chant. (3)

Non pas pour attirer ici les lions hirsutes,
mais pour apaiser le visage de mon seigneur,
pour ôter ses soucis et charmer
parfaitement ses oreilles.

Qu'à bon droit revendique pour lui nos chants
ce prince qui protège les poètes et la cithare ;
sur ses cheveux sacrés
brille un chapeau rouge ;

un diadème étincelant d'une triple couronne
ceindra son front d'or. (4)
Me trompé-je ? ou est-ce l'excellent Apollon qui dicte
à son poète cet augure ?

Phébus, nous t'en supplions, accomplis les promesses que tu inspires !
Ce seigneur est digne de notre Muse (5)
c'est pour lui seul que l'Hermus coule, (6)
son urne renversée,

c'est à lui, Cythérée, qu'envoies tes coquillages
l'Indien confident du premier Phaéton, (7)
c'est de lui que la riche Abondance
approche sa corne bienfaisante.

Il n'est pas homme à garder un trésor caché
semblable au dragon de Colchide, (8)
mais il veille, cherche la gloire
et ne pense qu'à l'éternité.

Toute sa cour est consacrée à la foule apollinienne,
elle est plus douce que les aimables ombres de l'Hélicon ;
elle appelle les doctes,
et sa porte est grande ouverte ;

la vertu revient, elle rappelle la superbe lignée
de la maison de Gonzague, aux titres illustres ;
l'héritier se réjouit de rivaliser avec ses ancêtres admirables
et de les dépasser ;

car de beaux fruits au suc généreux
font l'éloge d'une famille ; l'énergique oiseau de Jupiter
ne donne jamais, dans son œuf, naissance
à un vautour craintif.

Coule impétueusement, fleuve,
chanté par les saintes Muses du Mincio !
voici que tu as maintenant, toi seul,
un Mécène et un Virgile ;

même le Pô te soumet ses eaux voisines,
lui sur qui chantent nombreux les cygnes,
bien qu'il donne vie à des aulnes pleureurs
et à des astres.

Il avait remarqué des oiseaux blancs
Ocnus venu du Tibre, quand il a fondé Mantoue, (9)
lui que sa mère pleine de savoir avait instruit
à se concilier les destins.

UN BERGER à Orphée :

Je t'apporte, Orphée, une nouvelle cruelle :
ta très belle nymphe est morte.
Elle fuyait l'amoureux Aristée ;
mais, quand elle arriva sur le rivage,
par un serpent venimeux et méchant
caché parmi l'herbe et les fleurs, elle fut piquée au pied :
et la morsure fut si forte et si cruelle
qu'en un instant elle vit finir sa vie et sa course.

ORPHEE pleure la mort d'Eurydice

Pleurons donc, inconsolable lyre,
car notre chant accoutumé n'est plus possible.
Pleurons, pendant que le ciel tourne sur son axe.
Et que Philomèle le cède à notre chant !
ô ciel, ô terre, ô mer, ô sort impitoyable,
comment pourrai-je souffrir pareille douleur ?
Eurydice ma belle, ô ma vie,
sans toi il n'est pas possible que je reste en vie. (10)
Il faut que j'aille aux portes du Tartare,
voir si là-bas on peut obtenir pitié.
Peut-être renverserons-nous le sort cruel
avec nos vers plaintifs, ô ma douce lyre ;
peut-être la mort aura-t-elle pitié ;
par notre chant nous avons déjà fait bouger un rocher,
nous avons réuni la biche et le tigre,
nous avons mis en marche les forêts et les fleuves.

ORPHEE, tout en chantant, arrive aux enfers :

Pitié, pitié pour le pauvre amant,
ayez pitié, ô esprits de l'enfer !
Seul Amour m'a conduit jusqu'ici ;
je suis venu en volant sur ses ailes.
Oublie, Cerbère, oublie cette colère ;
quand tu entendras mon malheur
tu pleureras avec moi, et non seulement toi,
mais quiconque vit dans ce monde obscur.
Furies, il n'est pas besoin que vous hurliez sur moi,
que vous hérissiez tant de serpents :
si vous connaissiez mes souffrances amères,
vous tiendriez compagnie à mes plaintes :
laissez passer ce malheureux,
qui a pour ennemi le ciel et tous les éléments,
qui vient demander merci à la Mort :
ouvrez-lui donc les portes de fer.

PLUTON, plein d'étonnement, parle :

Quel est celui qui avec un chant si doux
et avec sa lyre harmonieuse émeut l'abîme ?
Je vois immobile la roue d'Ixion,
Sisyphe assis sur sa pierre
et les Danaïdes avec leur urne vide ;
l'eau de Tantale ne recule plus ;
je vois Cerbère attentif avec sa triple gueule.
A cette plainte, je vois les Furies se calmer.

MINOS, à Pluton

Il vient en dépit de la loi du destin
qui n'envoie ici que des morts.
Peut-être, Pluton, avec des ruses cachées
complote-t-il de t'arracher ton royaume.
Ceux qui, semblables à lui, (11)
ont passé la porte sans retour
ont toujours été ta honte et ton malheur.
Sois prudent, Pluton : il y a là une ruse cachée.

ORPHEE, à genoux, dit à Pluton :

O souverain de tous ces peuples
qui ont perdu la lumière d'en-haut,
vers descend tout ce que font naître
les éléments et la Nature sous le ciel,
écoutez la raison de ma plainte.
L'Amour compatissant est le guide de nos pas ;
je n'ai pas fait ce voyage pour enchaîner Cerbère,
mais seulement pour celle que j'aime. (12)
Un serpent caché dans les fleurs et l'herbe
m'a pris celle que j'aime, et aussi mon cœur ;
c'est pourquoi je vis en dure peine
et ne puis résister à la souffrance ;
mais si vous gardez quelque souvenir
de l'illustre amour qui fut autrefois vôtre,
si vous vous rappelez l'antique enlèvement,
rendez-moi ma belle Eurydice.
Toute chose, en sa fin, revient à vous,
toute vie mortelle en vous retombe,
tout ce qu'enserre la lune avec ses cornes
doit parvenir dans votre pays ;
qui séjourne, plus ou moins longtemps, là-haut
doit aboutir à ces chemins ;
c'est là le dernier point où vont nos pas ;
ensuite vous régnez sur nous très longuement.
Ma nymphe est destinée à venir chez vous
lorsque la Nature lui donnera la mort :
mais aujourd'hui vous avez coupé avec une dure faux
la vigne tendre et le raisin vert ;
est-ce qu'on coupe le blé en herbe
sans attendre qu'il ait mûri ?
Donc rendez-moi mon espérance.
Je ne vous demande pas un don, mais un prêt.
Je vous en prie par les eaux troubles
du marais Styx et de l'Achéron,
par le Chaos dont est né tout le monde
et par l'énergie bruyante du Phlégéton,
par le fruit qui t'a plu, ô reine, (13)
quand pour la premièe fois tu as quitté nos horizons ;
et si le sort injuste me la refuse
je ne veux pas repartir, mais je demande la mort.

PROSERPINE dit à Pluton :

Je n'aurais pas cru, cher époux,
que jamais la pitié viendrait dans ce royaume ;
et je vois qu'elle règne maintenant dans notre cour
et je sens que mon cœur en est tout imprégné ;
ce ne sont pas seulement ceux qu'ici on torture,
c'est la Mort que je vois pleurer cet affreux malheur ;
que donc ta dure loi à lui se plie
pour son chant, pour son amour, pour ses justes prières.

PLUTON, répondant à Orphée, lui dit :

Je te la rends, mais à condition
qu'elle te suive sur le chemin obscur,
mais que tu ne voies pas son visage
jusqu'à ce qu'elle soit arrivée parmi les vivants :
modère donc ton grand désir, Orphée,
pour qu'elle ne te soit pas subitement ravie.
Je suis content que devant si doux archet (14)
s'incline la puissance de mon sceptre.

ORPHEE revient sur terre, avec Euridice regagnée ; il chante quelques vers joyeux, qui sont d'Ovide, et arrangés en fonction des circonstances (15)

Venez couronner mes tempes, lauriers du triomphe.
Nous avons gagné Eurydice, la vie m'est rendue.
Cette victoire est digne d'un triomphe particulier :
viens, triomphe qu'a fait naître mon souci.

EURYDICE se lamente avec Orphée parce qu'elle lui a été ravie par contrainte(16)

Hélas ! un trop grand amour
nous a détruits l'un et l'autre.
Voici que je te suis ravie à grand fureur
et je ne serai plus à toi désormais ;
je te tends les bras, mais c'est en vain
car on me tire en arrière. Mon Orphée, adieu.

ORPHEE dit, en suivant Eurydice :

Hélas, m'es-tu ravie,
Eurydice ma belle ? O ma folie,
ô dur destin, ô ciel hostile, ô Mort !
Oh notre amour est trop audacieux !
Mais il faut qu'une seconde fois
j'aille à la cour de Pluton.

Alors qu'Orphée veut retourner vers Pluton, UNE FURIE s'oppose à lui et dit :

N'avance pas davantage, arrête-toi,
désormais tu seras seul à pleurer sur toi.
tes paroles sont vaines,
vaines la plainte et la souffrance : la loi est intraitable.

ORPHEE se plaint de son sort :

Quel sera le chant pitoyable
qui égalera la souffrance de mon immense malheur ?
ou comment pourrai-je verser assez de larmes
pour que pleure toujours ma mortelle douleur ?
Je vais rester pleurant, triste et inconsolé,
tout le temps que les cieux me maintiendront en vie ;
et puisque ma fortune est aussi cruelle,
je ne veux plus aimer aucune femme.
Désormais je veux cueillir des fleurs nouvelles,
la prime fleur du sexe le meilleur,
quand ils sont tous gentils et vifs :
voilà le plus doux, le plus suave amour.
Que personne ne me parle plus de femmes,
puisqu'est morte celle qui avait mon cœur ;
si quelqu'un veut s'entretenir avec moi,
qu'il ne me parle pas d'amour pour des femmes.
Il est malheureux, l'homme qui change de vouloir
pour une femme, qui se réjouit ou s'afflige pour elle,
qui pour elle se prive de liberté,
qui croit à ses mines et à ses paroles !
Car elle est toujours plus légère que feuille au vent ;
mille fois par jour elle veut et ne veut plus ;
elle poursuit qui la fuit, se dérobe à qui la désire
et va et vient comme l'eau sur le rivage.
Jupiter m'en est entièrement garant,
qui, lié par le doux lien d'amour,
jouit au ciel de son beau Ganymède.
Phébus, sur terre, jouit d'Hyacinthe.
Hercule a cédé à ce saint amour :
il a vaincu des monstres et est vaincu par le bel Hylas.
J'exhorte les gens mariés à divorcer ;
que chacun fuie l'alliance avec les femmes.

UNE BACCHANTE, indignée, invite ses compagnes à mettre à mort Orphée

Voilà celui qui méprise notre amour :
oh, oh, mes sœurs, oh, oh, donnons-lui la mort !
Toi, écorce ton thyrse et toi, casse cette branche,
toi, prends une pierre ou du feu, et jette-les,
toi, cours et arrache cet arbre.
Oh, oh, faisons que ce malheureux souffre,
oh, oh, arrachons-lui le cœur de la poitrine :
qu'il meure, le scélérat, qu'il meure, qu'il meure !

LA BACCHANTE revient avec la tête d'Orphée et dit

Oh, oh, oh, oh, le scélérat est mort.
Evohé Bacchus ! Bacchus, je te rends grâces.
Nous l'avons traîné par toute la forêt ;
son sang est sur tous les buissons ;
nous l'avons déchiré membre à membre
en petits morceaux. Ce fut un carnage sauvage.
Va maintenant, dis du mal du mariage légitime !
Evohé, Bacchus, accepte cette victime.

Sacrifice des BACCHANTES en l'honneur de Bacchus

Que chacun te suive, Bacchus !
Bacchus, Bacchus, evohé !
Si quelqu'un veut boire, si quelqu'un veut boire,
qu'il vienne boire, qu'il vienne ici.
Vous engloutissez comme des entonnoirs.
Je veux boire, moi aussi.
Il y a encore du vin pour toi.
Laisse-moi boire la première.

Que chacun te suive, Bacchus !

J'ai déjà vidé ma corne,
apporte ici le tonneau.
La montagne s'est mise à tourner,
ma cervelle est brouillée.
Chacun court de çà, de là,
comme il voit que je fais.

Que chacun te suive, Bacchus !

Je suis déjà morte de sommeil.
Suis-je saoule, oui ou non ?
Mes pieds ne me tiennent plus debout.
Vous êtes saoules et moi aussi.
Que chacun fasse comme moi ;
que chacune hume comme moi.

Que chacun te suive, Bacchus !

Que chacun crie: Bacchus, Bacchus !
et qu'on entonne force vin !
Nous nous étourdirons de cris ;
bois donc, toi, et toi, et toi.
Je ne peux plus danser.
Que chacun crie : evohé !

Que chacun te suive, Bacchus !
Bacchus, Bacchus, evohé !

 

 

(1)"Esclavon", i.e. "slave", i.e., comme nous disions naguère, "yougoslave". Il y a à Venise un quai des Esclavons. Ce personnage parle un charabia bizarre ("cievol" au lieu de "cielo", ciel ; "argurio" au lieu de "augurio", augure, présage ; "Marcurio" au lieu de "Mercurio").


(2) On avait jusqu'ici des vers hendécasyllabes avec rimes en terza rima (comme dans la Divine Comédie). Voici quatre strophes composées chacune de deux (trois pour la dernière strophe) vers de sept syllabes (accent sur la sixième) et d'un hendécasyllabe. Rimes assez libres. Schéma métrique qui annonce ceux dont va se servir l'opéra, au XVIIe siècle.


(3) Strophes saphiques. Ce texte latin ne figure pas dans tous les manuscrits de l'Orfeo.


(4) Ce cardinal donc sera pape. Prophétie vaine, semble-t-il.


(5) Thalie, dit le texte. Muse de la comédie.


(6) Affluent du Pactole, fleuve bien connu.


(7) Ou bien le Phaéton bien connu, fils du Soleil, appelé une fois à diriger le char de son père. "Premier" parce que l'Inde, à l'est, se trouve au début de la course du soleil. — Ou bien le premier Phaéton, i.e. un autre Phaéton plus ancien, fils d'Aurore enlevé par Aphrodite (que les Latins identifient à Vénus). Puisque fils d'Aurore, il est à l'est, et convient aux Indiens de l'Inde.


(8) Le dragon est celui qui garde la Toison d'or.


(9) Ocnus, fondateur de Mantoue, est nommé dans l'Enéide (X.198). Sa mère est la prophétesse Manto.


(10) Octave, strophe qu'utiliseront plus tard L'Arioste et Le Tasse. Huit vers, rimés abababcc.


(11) Entendez: "encore vivants". Allusion à Hercule, à Thésée et autres.


(12) "La donna mia". Au XIVe siècle, on aurait encore dit "ma Dame".


(13) La grenade dont Proserpine a avalé un pépin, ce qui l'oblige à revenir chez son époux à la fin de chaque été.


(14) Cet "archet" est évidemment un plectre ; mais il n'est pas facile de savoir comment le poète se représentait les plectres. L'illustrateur, lui, ne semble pas avoir hésité. Pour lui, Orphée joue du violon.


(15) Amours, II, 12. Le texte d'Ovide dit exactement : "Venez couronner mes tempes, lauriers du triomphe. / Nous avons gagné ; Corinne est dans nos bras, / Elle qu'un mari, qu'un gardien, qu'une porte solide, que tant d'ennemis / Protégeaient, et qu'on ne pouvait prendre par aucune ruse." — De fait, les vers ont été un peu arrangés.


(16) Aucune didascalie n’indique ce que tout le monde sait : Orphée s’est retourné trop tôt.