SECTE SUICIDAIRE


Sibylle était élève à l’ENA. On l’avait envoyé faire son stage de préfecture dans une ville éloignée de la capitale. Là, on lui avait demandé un rapport sur les sectes dans le département.
La chose ne l’enthousiasmait pas. Elle aurait préféré du réel, la crise de la betterave ou l’aménagement des ports. Mais on ne lui demandait pas son avis.
Les sectes étaient un peu à la mode, dans la presse. On écrivait sur le sujet des articles en série, et même des livres. On s’inquiétait des malheureux jeunes gens qui se laissaient endoctriner, exploiter, qui ne dormaient plus et ne mangeaient guère, qui perdaient toute personnalité, pris qu’ils étaient dans une machine à vider les cervelles.  Sollicitée par des parents inquiets, l’administration se tenait prête à intervenir.
Sibylle comprit très vite — elle était fine — qu’on ne lui avait pas tout dit. On ne s’intéressait pas à toutes les sectes, mais à un cas particulier, assez inquiétant, parce que presque inintelligible. Une secte qui n’était ni végétarienne, ni pseudo-bouddhique, ni apocalyptique, ni anti-communiste, ni héritière des templiers, ni rien au monde que vous puissiez dire.
Tout avait commencé par un suicide : une quadragénaire, mercière, célibataire et sans enfants ; empoisonnée avec de la pharmacie. Je ne sais pourquoi la chose avait paru suspecte. On avait ouvert une enquête. La victime gardait chez elle une abondante littérature rédigée en un style ébouriffant : petits livres manuscrits, de différentes écritures ; documents ronéotés, qui ressemblaient à des tracts. Des documents semblables avaient été distribués dans des boîtes à lettres. Certains d’entre eux invitaient à des réunions publiques, sur lesquels existaient, évidemment, des rapports. Il y avait aussi des réunions privées, sur lesquelles on ne savait pas grand chose.
Mis au courant, le préfet s’était inquiété. Que des hurluberlus rédigent des insanités en style ténébreux, peu lui importait. Mais la bonne dame avait mis fin à ses jours ; on l’y avait peut-être poussée. Dans la presse, peu de temps auparavant, on avait pu lire de longs articles sur des suicides collectifs : des familles entières s’étaient solennellement fait brûler. Il serait de mauvais goût que ces horreurs, pittoresques quand elles se produisaient au-delà des océans, viennent se perpétrer dans nos campagnes.
Il semblait utile de réunir les données assez éparses dont on pouvait disposer sur la question. Une comparaison avec les autres sectes recensées pouvait avoir de l’intérêt. Et Sibylle s’était trouvée chargée de faire une petite synthèse.

 

Voir SIBYLLE et SIBYLLE ET MOI