SIBYLLE ROUSSILLON

(Notice)


Quand l’ai-je rencontrée pour la première fois ? Il ne m’en souvient plus. Pour faire avancer les affaires de Mécène, j’ai souvent négocié avec des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur. C’est là que Sibylle était employée. On en avait fait, un peu malgré elle, une spécialiste des sectes. « Madame Sectes », disait-on. (1)

Elle aurait préféré s’occuper de sujets plus graves, se consolait, avec un sourire, en affirmant que les sectes sont partout, que souvent des hurluberlus apocalyptiques l’avaient conduite à des enquêtes sur le commerce des drogues, sur de sombres affaires d’espionnage ou sur la fabrication de contrats douteux. Pour tout dire, elle avait des antennes dans tous les services. Indispensable, parce que jamais à sa place. Étroitement spécialisée, et pourtant ayant son mot à dire dans mille domaines. Je ne pouvais pas ne pas la rencontrer, quel que soit le dossier qui m’amenait.

Nous avons sympathisé, peut-être parce que nous étions l’un et l’autre dans une situation équivoque, incapables d’afficher une identité abrupte. Je lui dois d’avoir découvert la musique baroque ; elle m’emmenait aux concerts où se produisait son amant. Je lui ai fait découvrir, en échange le brouhaha des salles de vente, avec ses brusques silences, quand les enchères s’envolent.

Jonathan avait une fort belle voix de haute-contre, souple et caressante. Sibylle était-elle passionnément attachée à lui ? L’exhibait-elle avec ironie, ravie de déconcerter les brutes ? Plus d’un homme épais, — et il s’en trouve aussi dans l’administration, — peine à admettre qu’une voix aiguë soit compatible avec ce qu’on appelle la virilité.(2)

C’est à Sibylle que je dois cette idée que, pour me rendre favorable certain personnage très haut placé, et rigoureusement incorruptible, il serait bon que j’organise une représentation d’opéra. Et c’est Jonathan qui m’a appris l’existence de Bontempi. Il m’a même fourni la formule publicitaire : « Le Paride est le premier opéra jamais joué en Allemagne ». Mais c’est elle qui m’a suggéré de déguiser mon public : « Mettez-leur des perruques, des rhingraves et des pourpoints, qu’ils se croient à la cour de Louis XIV. Ils verront que le temps se mord la queue, et ils seront terrifiés. Enchantés et terrifiés. »

 

(1) Béloroukov ne semble pas savoir d'où vient ce sobriquet. Je me trouve en être informé; je connais Sibylle depuis longtemps. Est-il permis au traducteur de se mettre en scène dans ses notes? M’est-il permis d’intituler un article SIBYLLE ET MOI ?

(2) Voir WYSTAN JONATHAN WHITEHAND.

Pour des détails sur l’histoire de la représentation, voir CORROMPRE L’INCORRUPTIBLE

 

Voir COLLECTION DE TCHOUDAKS