W. J. W.

 

Il s’appelle réellement Wystan Jonathan Whitehand. Sibylle Roussillon, qui est sa maîtresse, estime aberrant le prénom de « Wystan ». Pour lui, il y trouve du charme. Il aime surtout le jeu des initiales: WJW. C’est, dit-il, une aria da capo.

Sa vraie passion est la musique, à laquelle il a tout donné. Sibylle en est parfois jalouse. Elle a essayé d’apprendre le chant. Mais elle ne dispose pas d’assez de temps. Et elle supporte mal de n’avoir pas atteint, d’abord, la perfection.

Elle est jalouse aussi de toutes ses amies, que la curiosité émoustille. Jonathan chante en hautecontre. Il a des aigus de cantatrice. On dit partout qu’il faut distinguer entre cette voix, voix de tête longuement cultivée, falsetto, et celle des castrats, obtenue par un autre artifice. Olga-Marine, Amaryllis, Pervenche-Sabine, Charlotte-Apolline, Marie-Claude... toutes brûlent de savoir ce qu’il en est. On tend à Jonathan des pièges, à fin de vérification. Il se laisse prendre, par lassitude. Et Sibylle entre en fureur.

Lui est-elle vraiment attachée? Elle l’a mis dans son lit, dans ses meubles, par provocation peut-être, pour faire hurler une mère stupide et un père gravement ambassadeur. Parmi les gens de sa génération, les réactions sont un peu différentes : en bravant quelques interdits — mais lesquels ? — on impose son autorité.

Lorsque son amant est tombé dans une embuscade, elle se venge en s’abandonnant au premier Russe venu.

J’ai beaucoup parlé avec Jonathan quand il répétait le Paride.

« Je la crois fragile. Cette vie qu’elle mène est absurde. Elle ne pense qu’à dominer. Il lui faut le premier rang. J’ai peur qu’elle ne se brise. Son énergie pourrait se retourner contre elle. »

(Je n’ai pas osé lui dire que je partageais ses craintes. Le spectre de Thècle Rossard s’évanouira-t-il un jour ?)

Il disait encore :

« Si j’ai bien compris le texte, Bontempi vouait son Œnone au suicide. Œnone délaissée. Œnone poursuivie par deux vauriens qui veulent la violer. Cette histoire est sordide. Non seulement elle est vilainement salie par tous ces tristes bouffons que vous appelez des « croquants ». Mais les dieux ne donnent pas une meilleure idée de leur grandeur. Voyez ces trois sottes qui se disputent le prix de la beauté. Voyez ce bellâtre, qui jette aux orties sa maîtresse, parce qu’on lui en promet une plus titrée.

« Je suis heureux de jouer en chantant, de chanter en jouant. Sinon j’aurais l’impression de n’avoir pas quitté le monde où je vis, tout entier livré à la vanité.

« En fait, le seul personnage qui me plaise, outre la belle abandonnée, c’est Mercure. Il est aimable et discret, et il a inventé la musique. J’ai un peu lu. Il me paraît capable d’humour. Dieu des voleurs, dit-on. Je préférerais une autre expression, que vous m’avez apprise.

« Mercure. Hermès. Trismégiste. Dieu des tchoudaks. »

 

Voir

ŒNONE

SIBYLLE ET MOI

DISCOURS DOUBLE