TRAUGOTT ZIEGLER

 

(Note du traducteur)

 

Liouba Barkova, me prenant pour un grave érudit, et assoiffé de documents, m’a fait, lorsque nous nous sommes revus, un cadeau assez étrange. Le grand-père de son époux, Afanassi Feofanovitch Kotchetov, chirurgien, et historien amateur, pensait réunir en volume des écrits médicaux datant du XVIIe siècle. Son livre, bien qu’annoncé, n’a peut-être jamais paru ; il n’en subsiste en tout cas aucune trace. On peut aussi supposer que pendant la guerre civile tous les exemplaires ont été détruits. C’est au même moment que s’est évanoui, victime probablement d’un incendie, le manuscrit latin où Fidelis Tegularius avait consigné ses Apophtegmes.  Une bizarrerie du sort avait préservé le cahier où Afanassi Feofanovitch avait écrit le premier brouillon de sa traduction. Conservé par la famille, cet écrit n’intéressait évidemment personne. J’y mis le nez avec une molle curiosité ; j’avais du mal à déchiffrer un texte en ancienne orthographe, écrit parfois à la diable. Je l’aurais peut-être abandonné dès la troisième page, si je n’y avais lu un détail cocasse. Ce Fidelis Tegularius, qui s’appelait probablement Traugott Ziegler, qui avait exercé la médecine à la cour de Dresde, avant de venir en Russie, où il s’était assuré une princière et rentable clientèle, était passionné par une question encore fort débattue à son époque, celle de la circulation du sang. Ce simple énoncé pourrait donner à croire que le bon Allemand était fort en avance sur tous les Diafoirus de son époque. Enthousiasme prématuré  : que le sang parcoure, et à grande allure, le labyrinthe des veines et des artères, Fidelis Tegularius ne songeait pas à en douter ; et cette conviction le place parmi les partisans du progrès. Mais, en fait, il se souciait peu de rompre encore des lances en faveur d’une hypothèse, qu’il estimait déjà victorieuse. Son vrai souci était de savoir si le sang circule de la même manière chez les animaux que la Bible déclare impurs et chez ceux qui ne le sont pas : sens direct chez les uns, sens trigonométrique chez les autres ? Qu’en était-il du pourceau, du lièvre, du chameau ? Du cygne, du hibou, de la chauve-souris ? Qu’en était-il de ceux qui ont le pied fourchu ? Peu importent ses conclusions. C’est la question qui me paraît amusante.
Les Apophtegmes offrent un autre intérêt. À tout propos et hors de propos, Traugott Ziegler raconte des anecdotes de la cour de Dresde. Il y évoque en particulier une manière d’académie qui a régulièrement tenu séance, aux alentours de 1660, chez Lothar Wassermann, bibliothécaire de Son Altesse Sérénissime Jean Georges, Prince Électeur de Saxe. Le bon docteur avait plaisir à filer des comparaisons fleuries entre son art et la musique. C’est pourquoi il citait assez souvent des phrases prononcées par un certain Bontempi, maître de chapelle de Son Altesse Sérénissime. Bon, tant pis ! Le nom fait rire. Bontempi composait un opéra, et toute l’académie suivait avec passion le progrès de son travail. Ce serait « le premier opéra jamais joué en Allemagne ».


Composée surtout de magistrats, de pasteurs, la compagnie comptait parmi ses membres, outre le musicien et le médecin, un jeune diplomate français, qui parlait, semble-t-il, l’allemand presque aussi bien que le latin. Traugott Ziegler faisait preuve d’une vive admiration pour ce noble personnage que son illustre naissance n’avait pas détourné de l’étude. Le nom, défiguré par sa double traduction, en latin, d’abord, puis en russe, ne me semblait pas inconnu. Je crus y deviner celui d’une célèbre trobairitz dont je venais de découvrir l’existence : Azalaïs de Porcayragues, qui a fleuri à l’époque des premières grandes cathédrales. Mais existait-il encore des Porcayragues à l’époque de Louis XIV ?
Ces quelques détails, avec les questions qu’ils posaient, étaient restés au fond de ma mémoire. Je les retrouvai sans peine, beaucoup plus tard, quand une autre voie me mena vers Bontempi.

Julien de Porcayragues aurait-il donc réellement existé?

 

Voir

L’ACADEMIE DU MÉLICRATE

SOUZDAL

JULIEN DE PORCAYRAGUES