BONTEMPI GNOSTIQUE

On admet généralement, et non sans de bonnes raisons, que le sujet de son opéra a été suggéré, voire imposé à Bontempi par la volonté du Prince. L’argument est simple. Au moment même où le maestro arrivait à Dresde, en 1630, on venait de marier à deux princesses les deux fils cadets de l’Électeur Jean Georges Ier. À cette occasion on avait donné de grandes fêtes ; on avait en particulier fait jouer un ballet, comme c’était alors la mode : des personnes de qualité avaient, en dansant, représenté l’histoire du jugement de Pâris.

D’où venait l’idée, c’est ce que personne n’a su me dire. On peut supposer qu’elle avait reçu l’assentiment de l’Électeur. Elle a sans doute choqué, non sans raisons. L’histoire d’un adultère triomphant ne convient guère, s’il s’agit d’illustrer une cérémonie nuptiale. Par ailleurs l’issue malheureuse de la guerre de Troie, cet incendie cruel couronnant tant de massacres, ne pouvait que rappeler d’atroces souvenirs aux Saxons : la Guerre de Trente Ans venait de s’achever. Elle avait sévi sur les terres de l’Électeur avec une particulière férocité.

Il avait donc paru nécessaire de justifier le choix d’un sujet si gênant. Une brochure fut distribuée. L’argumentation qu’elle développe peut décevoir les passionnés de belle rhétorique. Elle parut, en son temps, acceptable.

Et elle put resservir quand, douze ans plus tard, il fut question de marier la princesse Erdmuthe, petite-fille de Jean Georges Ier. Entretemps, ce prince avait rendu l’âme. Son fils régnait, sous le nom de Jean Georges II. La cour était-elle inspirée par quelques nostalgiques du ballet autrefois dansé ? Est-ce la petite princesse qui avait voulu raviver le souvenir d’un émerveillement enfantin ? Qu’avait-elle alors compris à cette histoire ?

On voulut mieux qu’un ballet. La mode penchait alors pour la « fable en musique », comme on disait. Bontempi en fournirait une. C’était son métier.

La question se pose, exaspérante, parce que nous la savons trop moderne : s’est-il exprimé dans son œuvre ? s’est-il passionné pour son œuvre ? L’idée est romantique. Pouvons-nous affirmer qu’elle n’a aucun sens s’il s’agit d’un artiste plus ancien ?

Lucile Saran voulait en avoir le cœur net. Elle savait bien que cette interrogation n’aboutirait à rien de sûr. Mais elle s’en serait voulu de l’avoir étouffée brutalement, de lui avoir refusé le droit à l’existence.

Bontempi s’était-il contenté de mettre en dialogues une histoire bien connue, un objet scolaire poli par des générations de pédants ? Avait-il pensé à dire, par elle, à travers elle, autre chose ?

« Dire autre chose ». L’expression fait résonner un souvenir. « Dire autre chose ». C’est l’étymologie du mot « allégorie ». Eu égard à ce que nous savons de la culture dans laquelle il a grandi, Bontempi nous semble tout à fait capable d’avoir donné à son histoire un reflet inattendu.

Il peut savoir que Simon le Magicien avait pour compagne une certaine Hélène, arrachée par lui à un lupanar de Tyr où elle était enfermée. Il en racontait les métempsycoses : c’était elle que Pâris avait enlevée à Sparte. On imaginera que la même histoire se reproduit. Hélène de Sparte végétait sous l’autorité stupide de Ménélas. Elle est soudain rendue à elle-même.

Lucile Saran faisait observer que, dans la « fable en musique », cet époux indifférent ne paraît pas. L’arrivée du prince berger, dont l’identité n’est pas dévoilée, bouleverse la reine. Il chante. Et ce chant est comparé à la fameuse harmonie des sphères. Il vient d’ailleurs. De Troie, sans doute. Mais allégoriquement, il vient d’un autre monde.

Car celui-ci, que symbolise Sparte, est un lieu de malheur et de médiocrité. Les créatures qui y rampent, fabriquées par un démiurge fou, offusquent la lumière. Ceux qui viennent d’ailleurs ont chu dans les ténèbres. Ils y souffrent de mélancolie, jusqu’au moment où paraît le sauveur. L’interprétation peut se poursuivre, dans une liberté qui s’apparente à un délire.

Les loustics prétendaient que Bontempi a lui-même libéré de la grisaille la belle Ursula von Harstenberg.

 

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