GILDAS DESLANDES

(Notice)

Quand nous nous sommes enfin trouvés face à face, je croyais tout savoir sur lui. C’était une figure de légende. Il avait traversé, à pied, toute la péninsule du Labrador. Mille kilomètres dans la neige, tout seul, au plus fort de l’hiver. Un défi dont il était sorti vivant. L’exploit avait fait peu de bruit. Les journaux n’en avaient rien su.
« Non, me dit-il. Je n’ai pas affronté l’hiver. Je suis parti de Québec en mai, après la fonte des neiges. Il m’a fallu faire des détours pour éviter les marais. Autant que possible, j’ai suivi la ligne des crêtes, la ligne de partage des eaux. »
Je ne sais pourquoi cette précision m’a paru symbolique, mais je serais bien en peine de dire de quel mystère elle est le symbole. En suivant sur une carte les détours qu’il a dû faire, je suis tombé sur des noms de lieux qui donnent à rêver.

Il n’est pas jusqu’à ce nom de « Déception » qui ne semble receler un sens inaccessible. Faut-il écrire « Deception », à l’anglaise ? Le village existe, tout près de la Deception Bay et de la Deception River.
Gildas a-t-il voulu dire qu’il avait été déçu, que son rêve s’était brisé, ou bien que, maintenant que Ginevra était morte, il voulait se déprendre, parvenir à l’extrême de la déception ? Un télégramme envoyé à quelques proches les a plongés dans la perplexité. « Je veux aller à Déception ».
Il a jeté un défi. Devait-il mourir, lui aussi ? La mort n’a pas voulu de lui. Il est arrivé à Déception, épuisé mais vivant. L’homme qui l’a recueilli le lui a dit : c’était un signe. Et, pour confirmer son dire, il lui a appris à rêver.
Il lui a dit : « Garde ce nom qu’elle t’a donné. Garde-le en dépit de tout. »

Il s’appelle Gilles. La Dame du Lac, la dame à la harpe l’avait baptisé Gildas. Elle ne prononçait pas le « s » final. Elle disait « Gildâ ».

« Pourquoi ? disait Ginevra ? Gildas, c’est autre chose qu’« embarras » ou « cervelas ». « Gildas, c’est comme « Elias », comme « Mathias ». « Gildas, c’est comme « Fantômas ».

(Comme ils avaient ri, autrefois!)

Il jouait du théorbe. J’ignorais ce qu’est un théorbe. Y a-t-il un rapport avec « théologie », « théocratie », « théodicée », « théogonie », théophanie » ? Non, m’a-t-il dit. Pas plus qu’avec « théorème » ou « théodolite ».
Il jouait subtilement du théorbe, qui est un grand luth aux cordes peu tendues : le son atteint aux profondeurs du cœur.
Ils étaient trois : Laurence touchait du clavecin, Gaétan faisait chanter une viole de gambe. Gilles pinçait, délicatement, les longues cordes.
À eux trois, ils formaient l’orchestre d’un antique opéra, dont j’avais organisé l’unique représentation, dans un château perdu au fond de la campagne.


Joël Cauchard disait : « Si le Christ revenait sur terre, il serait Gildas Deslandes. » Il ajoutait : « C’est lui qui m’a sauvé de la grisaille. »

 

 

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