OISEAUX EFFAROUCHÉS

(Article publié dans Lagban)

Un lecteur m’écrit pour me demander s’il est vrai que les oiseaux parlent.
Je pourrais penser aux perroquets, me demander s’ils comprennent ce qu’ils disent. Plus intéressant à savoir : leur arrive-t-il de converser entre eux ? En d’autres termes, est-ce qu’ils communiquent ?
Pour balayer ces banalités, je préférerais me contenter d’évoquer un souvenir.
Nous bavardions, quelques amis et moi, dans un jardin, par une belle journée au début de l’automne. Les rouges-queues n’étaient pas encore partis pour l’Afrique. Bientôt le froid de chez nous les inviterait à s’en aller.
Déjà leurs belles couleurs commençaient à pâlir. Le contraste s’effaçait entre la tête noire et le front blanc.
Toujours facile à reconnaître, cependant, l’un d’entre eux s’était placé sur le petit mur à l’ombre du mélèze, dont les aiguilles viraient au jaune vif.
Et l’oiseau chantait. Son chant, je ne sais pourquoi, passe pour mélancolique ; ce jour-là, il s’accordait à la lumière et au bonheur tranquille.
Soudain, à la porte de la maison, est apparu un chat noir.
La mélodie, que les savants traduisent pas « hu-id, hu-id », s’est brusquement interrompue. Et nous avons entendu un « tek, tek » qui n’avait rien de rêveur.
Quand le chat, ayant humé l’air, est rentré dans la maison, la jolie cantilène a repris. « Hu-id, hu-id ».
L’événement s’est répété trois fois.

Le rouge-queue parle-t-il ?
— Évidemment, il parle, dit Sacha, puisque je le comprends.
Erdeni fit la moue.
— Tu marches dans la rue. Il y a une crotte de chien. Tu vas marcher dessus. Je te crie : « Cuidado ! ». Tu vas traverser. Un camion arrive. Tu ne l’as pas vu. Je te crie : « Cuidado ! » Tu t’arrêtes.
— Ça veut dire quoi, « cuirado » ?
— « Cuidado ». Tu ne comprends pas ?
— Je ne sais pas le turc.
— C’est de l’espagnol, mais peu importe. Ce que tu as compris, c’est que j’ai crié. Tu as vu alors qu’il y avait un danger: une crotte de chien, un camion. J’aurais pu crier : « Héééée ! » Tu aurais réagi de la même façon.
— Donc, dit Sacha, l’oiseau ne parle pas.

J’ai cru nécessaire, moi, d’intervenir.
— Il y a pourtant, dans son chant, quelque chose qui rappelle le langage humain. C’est que le « tek, tek » est totalement différent de ce qui précède. Aucun intermédiaire possible. « Hu-id », puis, brusquement « tek, tek ». Le langage humain joue aussi sur des contrastes aussi nets. Tu ne confonds pas « sourde » et « gourde » (1).
— C’est pas tout à fait pareil.
— Ce n’est pas pareil, de fait, parce que , dans notre langage, l’opposition entre « sourde » et « gourde » se retrouve ailleurs. Je ne sais pas, moi : « gant » et « sang ».
— Bon, alors, l’oiseau, il parle ?
— Pas vraiment, dit Erdeni.

Sacha allait se fâcher. Il grommela :
—Le diable vous emporte, avec vos sourdes et vos gourdes !

La linguistique et la vodka ne font pas toujours bon ménage.

(1) Par chance, le français peut transposer le jeu que Béloroukov mène avec les mots. La traduction garde même le sens, ou à peu près. «Глуха» (gloukha) veut dire « sourde » ; « глупа» (gloupa), « sotte », donc, si l’on veut, « gourde ». Mais le traducteur perd ses moyens devant «хан» (khan) et «пан» (pan) qui veulent dire « prince » et « seigneur ». « Gant » et « sang » ont des sens tout autres, mais riment comme riment les deux mots russes. Faut-il noter que ces deux mots sont des emprunts, le premier au persan, le second, au polonais ? Il n’en servent pas moins de manière efficace la démonstration de Béloroukov. (Note du traducteur)

 

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HIÉROPHONÈMES

LE SALUT PAR LE PHONÈME