NICOLAS PORQUAIS

 

(Récit du traducteur)

Je faisais un soir, à B***, une conférence sur Bontempi et les débuts de l’opéra en Allemagne. La séance une fois levée, je vis venir à moi un petit homme au ventre rond, portant chapeau et nœud papillon. Il me dit quel plaisir il avait eu à entendre parler d’un musicien trop peu connu.

« Je n’ai rien entendu de sa musique, rien lu de ses écrits. Il a été proche d’un de mes ancêtres, et je possède des documents dont vous pourriez tirer parti. Je vous en donnerais volontiers copie, de manière tout à fait désintéressée, pour contribuer au progrès de la science historique. »

De fait j’ai pu lire, grâce à lui, des textes remarquables tant par la précision de l’information que par la vivacité de leur style. Il y est souvent question de Bontempi, et je regrette que Zossima Béloroukov n’ait pas pu en faire état.

Le personnage avait nom Nicolas Porquais. Nous nous sommes souvent revus, soit en ville, soit à l’ABC, soit dans le train. J’allais souvent à Paris, et lui aussi. Il ne manquait jamais de venir s’asseoir près de moi. En contraste avec sa réserve habituelle, il produisait alors un flot de paroles. Toujours prêt à raconter des anecdotes, qui ressemblaient à des confidences, il avait cependant grand soin de cacher les noms propres. Il disait : « un diplomate, une comédienne, un archiprêtre, un magistrat, la supérieure d’un couvent… ». J’espérais voir un visage réel.  En vain. Les personnages demeuraient aussi impersonnels que les animaux d’une fable.
Je ne suis jamais arrivé à savoir ce qu’il faisait dans l’existence, comment il gagnait son pain. Je l’ai cru successivement magistrat, officier de marine, courtier en assurances, conseiller en optimisation fiscale... Je continue à ne rien deviner.

Comment peut-on avoir une allure aussi banale, qui ne révèle aucune particularité?


On en parlait dans la ville. C’était, disait-on, un chasseur. Il fréquentait un club de tir où on le considérait comme un champion. Avait-il jamais fait la guerre ? Des rumeurs circulaient, invérifiables : cet officier — mais l’avait-il  été vraiment ? — aurait, plein de dégoût, quitté l’armée lorsqu’a disparu l’Empire colonial ; il aurait alors rejoint des groupes de mercenaires et pris part, en Afrique, à plusieurs guerres civiles ; selon d’autres, il avait commandé des unités disciplinaires, et conservé des relations étroites avec plusieurs truands qui avaient servi sous ses ordres.
Les moins romanesques le prétendent tout simplement mythomane. Ses anecdotes, il les aurait ramassées dans des livres ou dans des revues. Et il se serait inventé des ascendants. S’il fallait l’en croire, à l’époque de la Terreur, ses ancêtres auraient raccourci leur nom pour éviter de l’être eux-mêmes. « Porquais » était pour « Porcayragues ». On devait savoir que ce patronyme a été plusieurs fois illustré, notamment par Azalaïs de Porcayragues, que connaissent bien ceux qui se passionnent pour la poésie des troubadours, et aussi par Julien de Porcayragues, qui joua un rôle discret, mais essentiel dans la diplomatie de Louis XIV.
Quand Nicolas Porquais s’absente pour deux ou trois mois consécutifs, c’est pour se rendre dans un petit château qu’il possède, au milieu de forêts sombres, dans un coin perdu des Cévennes. Ce bien est toujours resté dans sa famille, au moins depuis le XVIe siècle. Il abrite de précieuses archives que Nicolas Porquais s’est promis de
classer et de publier : des mémoires, des correspondances, et même des poèmes. La tâche se complique du fait que nombre de textes sont en latin. « Or, depuis le séminaire… ».
Aurait-il porté la soutane ?


Il m’avait promis de me montrer des écrits de Julien de Porcayragues. Il a tenu sa promesse, petitement. J’ai aperçu quelques pages.
Il s’agit de copies, évidemment, dont il m’a fait cadeau. Mais qui a écrit l’original ?

 

Voir

ABC

JULIEN DE PORCAYRAGUES

COLLECTION DE TCHOUDAKS