LOUSTICS

 

Lucile Saran, a, pendant deux ans, enseigné la musique au collège de Beaufort-en-Tarlais. Elle habitait Paris, avec son mari et ses enfants. Le lundi matin, elle prenait le train de 5.12 h, descendait à Villefranche-en-Tarlais, après avoir changé deux fois. Un car la menait à Beaufort. Le jeudi soir elle faisait le trajet en sens inverse.
Au collège, elle fut bien accueillie.
Elle était belle comme le jour. Les séducteurs se précipitèrent. Ils en furent pour leur frais.
D’autres, émus de compassion, s’efforçaient de la faire rire. Elle en avait gardé un souvenir heureux, en parlait, longtemps après, en les appelant les mousquetaires. Ils étaient trois : Adrien, Barbara, Colin. En fait, ils étaient quatre, si on tenait compte du matheux, qui était présent, mais riait peu.(1) C’étaient les fidèles. D’autres, dix ou douze, venaient de temps à autre s’asseoir à la même table qu’elle, au réfectoire, et racontaient des gaudrioles. Elles les avait baptisés ses « loustics ».
Ils riaient de Bontempi. C’était son sujet de thèse. Oui, elle trouvait le moyen de faire une thèse. En musicologie.
On lui posa des questions sur cet olibrius. On lui fit raconter sa vie. Le sujet fut vite épuisé. Alors on broda. Pendant plusieurs semaines, on inventa des épisodes. Le bonhomme eut bientôt plusieurs vies.
Le lundi, à midi, quelqu’un disait à Lucile : « Tu connais la dernière de ton oiseau ? »
L’oiseau était un coquin. On l’avait châtré, mais en vain. L’opération avait manqué. Mais il se gardait de le laisser savoir. À la cour de Dresde, où il était maître de chapelle, on parlait de lui en disant « l’eunuque ». Il ne protestait pas.
Il aurait pu chanter en basse. Il avait travaillé la voix de tête ; hautecontre, il rivalisait avec les femmes et les enfants. En fait, il chantait le moins possible.
Il profitait indécemment de cette situation équivoque. Barbara dressait des listes : duchesses, baronnes, bourgeoises, chambrières, chanoinesses.

Lucile laissait dire, riait de bon cœur. Parfois elle s’estimait obligée de rétablir la vérité.

Fausta Peranda a largement puisé dans les inventions des loustics pour composer sa Vita fantastica.

 

(1) Ce « matheux » serait-il Joël Cauchard ? (Note du traducteur).

 

Voir

SABLONS

JULIEN DE PORCAYRAGUES

L’ACADÉMIE DU MÉLICRATE

MERETRIX

MONUMENT

VISIONS