CHRISTOPHE LANGLOIS

(Notice)


Voilà quelqu’un dont je pourrais peut-être écrire la biographie. Il m’a raconté bien des détails de sa vie. Et, de plus, j’ai un fil conducteur. Quand il vivait à l’orphelinat, Christophe Langlois était persécuté par une vieille religieuse des plus sottes, qui le traitait alternativement de « vilain petit  nègre " et de « vilain petit païen ". Le mot « nègre " était intelligible. Le mot « païen ", beaucoup moins. Pour savoir ce qu’il en était de ces païens, Christophe Langlois posait des questions. On l’orienta vers les Grecs. Il s’abreuva de mythologie. Il en riait. « J’ai de la nostalgie pour une Afrique que j’ignore, mais où les miens ont vécu. J’aimerais connaître leurs dieux. On ne m’a donné que ceux de l’Olympe. C’est à eux que je me suis attaché. J’aime Hésiode, qui a chanté leur naissance, parce qu’il parle de la terre, de la graine, de la croissance des plantes. J’aime Hésiode, parce qu’il est, comme moi, jardinier. Je voudrais le lire dans sa langue. C’est trop d’exigence pour un « pauv’e nèg’e ", n’est-ce pas ? ".

Je l’ai rencontré à l’ABC, un soir où, à la demande de Frédéric Montmort, je m’exerçais au métier de conférencier. J’avais parlé du chaos, du chaos primordial, de celui qui hante la pensée des poètes, à Rome comme en Grèce. J’avais suggéré — c’est une de mes manies — qu’on peut le considérer comme un état transitoire, qui revient périodiquement. Les auditeurs semblaient inquiets.
Christophe Langlois les inquiéta encore davantage en posant sa question, car il disait en termes clairs ce que j’avais préféré ne pas crier sur les toits :

 « Si c’est par son mouvement propre que le chaos se met en ordre, on n’a plus besoin de démiurge ».
On entendit dans l’assistance un sourd grondement de panique. Ces malheureux se sentaient soudain abandonnés. Je me hâtai de préciser :
« C’est une conséquence possible de l’hypothèse que j’ai présentée. Conséquence non nécessaire d’une hypothèse qui reste une hypothèse.
— Bien entendu. Nous voulons tous croire en un créateur. Il faut que quelqu’un jette la semence. »

Le personnage m’était extrêmement sympathique, peut-être parce qu’il ressemblait à Louis Armstrong, peut-être parce qu’il avait compris sans hésiter, et ce que j’avais en tête, et qu’il fallait ne pas désespérer les auditeurs. Une fois la séance levée et le public dispersé, Frédéric Montmort nous présenta.
« Certains de nos fidèles, qui n’étaient malheureusement pas là ce soir, ne parlent de Monsieur Langlois qu’en l’appelant : maître Melchior ».

Je n’appris que bien plus tard l’origine de ce surnom. Sur le moment, il fut uniquement question du chaos, et des terreurs qu’il inspirait.


« Je le compare à l’hiver. À la sainte Catherine, vous avez fait les dernières plantations; vous avez nettoyé le jardin. Le voilà complètement inactif. Si vous êtes un homme consciencieux, vous ne laissez régner aucun désordre. Il est bien clair que le chaos dont nous parlons est autre chose qu’une expression un peu exagérée pour dire que les choses ne sont pas toutes à leur place. C’est une apparence de mort. Un jardin en décembre. Puis vient le printemps. »

Maître Melchior avait exercé toute sa vie le métier d’horticulteur. Il avait pris sa retraite, et vendu son exploitation. C’est pour lui seul que, à la lisière de la ville, il cultivait un petit arpent qu’il me proposa de visiter. J’ai passé là des heures heureuses, en buvant du carcadet, chaud ou froid selon la saison, et en racontant, ou en écoutant, des histoires. Maître Melchior était un habile conteur, et enthousiaste.

 

Voir COLLECTION DE TCHOUDAKS

 

Pourquoi Christophe Langlois s’appelle-t-il Christophe Langlois. Voir SAINT-MIHIEL.

Pourquoi Christophe Langlois s’appelle-t-il maître Melchior.Voir CRÈCHE.

Combien y a-t-il de chaos différents? Voir CHAOS.

Comment un jardinier cultive les aphorismes.Voir GLANE.

 

Voir aussi ABC