RUTILIUS RUFUS

(Notice)


Tchoudak ou paraphrène ? Dans certaines rencontres, on se pose la question. Et on ne la résout pas toujours. Le critère serait : l’individu croit-il vraiment à ce qu’il dit ? Mais le sens du verbe « croire » n’est pas facile à déterminer. Croyez-vous vraiment à ce que vous dites ?


J’ai rencontré Rutilius Rufus en 1984, dans un petit restaurant d’Alexandrie. J’étais seul à ma table. Lui aussi, seul à la sienne. C’est lui qui a engagé la conversation. De ses propos, j’ai déduit qu’il avait vécu à Rome, à la fin du règne de l’empereur Auguste, et même un peu plus tard. Il fallait donc voir en lui un contemporain du Christ.


J’ai failli lui demander pourquoi il parlait français, et non latin ou grec. Je me suis abstenu de poser la question. J’ai failli lui demander comment il avait survécu pendant vingt siècles. Ou bien était-il mort en son temps, et ressuscité depuis quelques décennies ? Il me semblait avoir à peu près quarante ans. J’étais sûr qu’il n’entendrait pas.


Ces bizarreries mises à part, son discours me passionnait. Rutilius Rufus — c’est moi qui lui donne ce nom, en souvenir de sa tignasse rousse  — prétendait avoir inventé le livre.


Il est vrai qu’au début de notre ère, quelqu’un a eu l’idée de coudre des cahiers pour réaliser cet objet que l’on feuillette. Jusque là, on collait bout à bout les feuilles de papier, et on enroulait autour d’un bâton la longue bande ainsi réalisée. Les rouleaux de la Thora offrent un bon exemple de cette pratique. Si la lecture est facile, la consultation n’est pas simple.


Rutilius Rufus, celui que j’ai vu de mes yeux, à deux pas de l’antique Bibliothèque, est-il cet inventeur pour nous anonyme ? De sa méditation sur le livre cousu il tirait des conséquences passionnantes ; il m’a fallu des mois de ressassement  pour en comprendre les subtilités.


Quel besoin avait-il de se déguiser en sujet des empereurs romains ? Pensait-il que sa doctrine serait mieux reçue, s’il la barbouillait d’Antiquité ?


D’autres que moi l’ont rencontré, toujours aussi roux, dans ce petit restaurant de la rue Saïd Zaghloul, à Alexandrie. Il a évoqué pour eux des sujets divers ; à tous il donné l’image d’un penseur profond. À tous, il a dit qu’il avait vécu au premier siècle de notre ère. Et il évoquait des souvenirs précis.

 

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RUTILIUS ET LE LIVRE

TROIS FEMMES SUR LA TERRASSE

ABC

 

Voir COLLECTION DE TCHOUDAKS