BONTEMPI

(Notice)


Il est mort en 1705, dans sa maison de Brufa, non loin de Pérouse où il était né. Pourquoi vouloir finir ses jours à Brufa ?
Il avait acquis quelque bien en Allemagne, au service de Jean Georges II, prince électeur de Saxe, qui payait largement. Il en a usé pour la bonne cause tout le temps qu’il a vécu à Dresde. Les dévots appréciaient qu’il ait dépensé plusieurs milliers de thalers pour racheter des reliques de saints que les protestants auraient détruites ; il avait également réussi, en payant bien, à se procurer, pour les brûler, tous les exemplaires d’un livre injurieux pour l’Église romaine.
À Pérouse, le comte Montemellini se montrait soucieux de donner du lustre à l’académie qu’il protégeait. Il y fit entrer Bontempi en vantant le « zèle pieux » de son candidat. Cet argument, dans sa bouche, avait peut-être plus de poids que cet autre, évidemment attendu ; en composant « le premier opéra jamais joué en Allemagne », (1) Bontempi avait fait pénétrer « dans le brouillard germanique la lumière de la Méditerranée, mère des arts ».
J’ai découvert Bontempi, que j’avais longtemps ignoré, puis tenu pour négligeable, le jour où j’ai su à qui était dédiée l’église principale de Brufa. On m’a fait remarquer qu’il existe un Hermès parmi les compagnons de saint Paul, que le culte de saint Hermès a été assez largement répandu avant que les hommes de science ne mettent en doute l’existence de ce respectable évêque et martyr, qui portait le nom d’un dieu païen. Il s’est trouvé des gens pour soutenir qu’on avait inventé l’évêque pour que se survive, déguisé, le culte du dieu.(2)
Bien qu’il ait su le grec, Bontempi, comme tous ses contemporains, parlait non d’Hermès, mais de Mercure. Il voyait en lui le créateur de la musique, et lui a consacré des pages respectueuses dans son Historia musica. Il n’a pas manqué d’écrire pour lui, dans son opéra, un petit bout de rôle : c’est le dieu au caducée qui est chargé de conduire auprès de Pâris, prince et berger, les trois déesses entrées en contestation depuis que la Discorde a jeté sur la table, devant elles, une pomme d’or ornée de l’inscription : « À la plus belle ».
Faut-il deviner, sous les apparences d’un catholique fervent et agressif, un païen déguisé ?
Il y a d’autres bizarreries chez le personnage. Le sujet de son opéra lui a très probablement été imposé. Il l’a traité, — il est l’auteur du livret aussi bien que de la partition, — avec tout le sérieux possible, et non sans avoir consulté tous les bons auteurs qui ont discouru de mythologie. Une question s’est posée à lui, d’autant plus vivement que les peintres, pour leur part, l’avaient depuis longtemps résolue, et qu’il ne pouvait, lui, en aucun cas, accepter leur manière de voir. Mercure les ayant conduites devant Pâris, dans une campagne sauvage, Junon, Pallas et Vénus se sont-elles dépouillées de leurs vêtements pour que leur beauté apparaisse au naturel ?
Naturellement, sur un théâtre, il était hors de question que les cantatrices paraissent nues ; on ne verrait d’ailleurs pas s’exhiber de cantatrices ; tous les rôles étaient chantés et joués par des hommes. Pourquoi Bontempi a-t-il fait comme si ces obstacles, fruits de la simple décence, n’avaient pas existé. Son texte est sans ambiguïtés. Pâris dit, ou plutôt chante : « Que chacune se dévête ! » Et elles obtempèrent toutes les trois, non sans rechigner.
De qui se moque ce compositeur improvisé poète ? Est-ce un païen déterminé ? Est-ce un plaisantin ?
Je préfère le tenir pour un tchoudak, et je me rappelle que, s’il a gagné sa vie comme musicien, il s’est passionné pour mille autres choses : il a été nommé, à Dresde, « ingénieur des théâtres », fonction qu’il exerçait en même temps que celle de maître de chapelle. Il a été chargé d’écrire l’histoire de la maison princière dont il servait les derniers représentants. Il savait de la mécanique ;  il pratiquait la gravure sur pierres précieuses. Les horloges n’avaient pour lui pas de secret.
Tout tchoudak est-il un peu Protée ?

(1) Cette formule est encore aujourd’hui souvent citée. Il faut la corriger. Pour être exact, il faut dire : le Paride est le premier opéra italien jamais joué à Dresde. Mais les hyperboles ne coûtent rien, et elles font grand plaisir à l’orateur. (Note de Béloroukov)

(2) Voir sur ce point l'article MERETRIX.

 

Voir COLLECTION DE TCHOUDAKS

 

Voir AB OVO

Voir HYPERBOLE

Voir PROLOGUE

Voir JE LIS BONTEMPI DANS LE TRAIN

 

Note du traducteur. Je me permets de renvoyer, bien qu’il ait un peu vieilli, au Dictionnaire de Bontempi que j’ai publié il y a déjà plusieurs années.