ORÉE

(Récit du traducteur)

 

Un instant j’ai cru que tout se rejoindrait. Ces personnages rencontrés, en divers temps, en divers lieux, feraient partie de la même histoire. Et cette histoire se composerait. Les coïncidences se donneraient la main. Il naîtrait un système. Comme si m’avait été donné un signe, puis un plan, où j’aurais ma place.
J’avais voulu retrouver un fragment de mon passé. Conséquence inattendue, mais nécessaire : je deviendrais traducteur.

J’avais promis de faire le 5 avril un exposé dans le séminaire d’Anne Gavrel. Raymond Vaysse m’avait invité au mariage de sa petite-fille, le 4. J’ai bien connu Anne Gavrel et Raymond Vaysse au temps de nos études. J’ai eu plaisir à les retrouver plus tard, comme collègues. Elle d’abord, à l’université de F***. Lui, plusieurs années après, quand j’ai été élu à celle de B***. Mon chemin de vie est tout en zigzags.(1) Mutations et déménagements. Pas les leurs.

Le mariage avait lieu à Vaussiremont. Vaussiremont n’est pas très loin de Beaufort-en-Tarlais. J’aurais aimé jeter un coup d’œil à la petite ville.
Or j’avais cours à B***, où j’habite, le 3, au matin, et le 8.
Itinéraire impossible à faire en train, dans les délais imposés. J’ai loué une voiture.
Soudain j’ai compris que ma route ne passerait pas loin de Sainte-Hélène-la-Dorée. J’aurais le temps de faire un tour en forêt, et – qui sait ? – de pousser jusqu’au Pavillon. J’y reverrais des images d’autrefois : des vacances de printemps, chez Martian Lidières, dont les parents m’avaient accueilli avec gentillesse. Morts depuis longtemps ; le Pavillon a été vendu, transformé, m’a-t-on dit, en hôtel tape-à-l’œil. J’ai perdu Martian de vue, ne souhaite guère le revoir. Amertume : nous avions été proches.
Restent les lieux, les hêtres, les bouleaux ; les houx, le sable jaune ; les ravins.
J’ai assisté au mariage. Fait l’exposé promis. Près de Sainte-Hélène-la-Dorée, j’ai quitté la grand route. Abandonné ma voiture sur la place du village.

Je suis entré dans la forêt.
J’y ai retrouvé l’écureuil : quarante ans ; on aurait dit que c’était le même. Il m’a regardé, ne s’est pas enfui trop vite. J’ai retrouvé, semblables, les fougères. Pour elles j’ai quitté le sentier. Et je me suis perdu. Le temps même m’échappait ; j’avais oublié ma montre.
J’étais perdu dans la forêt. Je tournais en rond, sans doute. Les chemins bifurquaient, se recroisaient, se perdaient dans le taillis. Je me risquais dans des ronciers.
Soudain, à un jeu de lumière, il m’a semblé que l’orée était proche. Qu’allais-je découvrir ? J’avais l’impression de me soumettre à une épreuve, de tenter je ne sais qui : le destin, le hasard, le diable.
Je suis arrivé tout droit sur la prairie. J’y ai reconnu tout de suite, défiguré sans doute, souillé de couleurs criardes, le Pavillon.
Je le contemplais, non sans inquiétude : car un grand escogriffe roux, vêtu en valet de comédie, dans une livrée verte avec des galons d’or, fonçait sur moi. Il agitait les bras comme un moulin à vent. Quand il fut à deux pas, il se figea au garde-à-vous et déclara, sur le ton le plus affirmatif :
— Angelini.
Non, il n’avait pas l’air de se nommer lui-même. La mélodie était celle d’une injure. Il semblait furieux. Que faire ? Ma mémoire a répondu, comme sans me consulter :
— Bontempi.
— Alors suivez-moi.
Et, le diable sait pourquoi, il répéta cette phrase en italien, puis en russe.
Il ajouta :
— Nous devons faire vite.
Ces mots furent immédiatement traduits en russe, puis en italien.
J’emboîtai le pas à l’escogriffe, sans comprendre où était la contrainte logique. Que signifie cet « alors » ? Pourquoi faut-il, de toute nécessité, que je me laisse conduire par un escogriffe, et galonné de surcroît, simplement parce que je me trouve savoir qu’il a existé un Angelini dont le pseudonyme était Bontempi.
L’escogriffe galonné m’a précédé tout au long d’un couloir. De temps à autre, il se retournait, comme pour vérifier que j’étais toujours là. L’idée que je pourrais m’esquiver lui paraissait sans doute insupportable.
Le couloir n’en finissait pas. A main gauche, des portes. A main droite, par les fenêtres, au-delà de la pelouse, on apercevait la forêt. Le labyrinthe où, tout à l’heure, perdu, je divaguais.
L’escogriffe pousse une porte, s’efface pour me laisser passer. J’ai l’impression de reconnaître cette pièce. C’est une chambre au plafond bas, un peu mansardée.  La fenêtre, petite, donne, elle aussi, sur la forêt, cette forêt qui cerne la maison. J’ai dormi dans cette chambre. Sa forme m’est presque familière. Mais les couleurs ont été massacrées. Je me rappelle un gris pâle, veiné de bleu Nattier. Me voilà agressé par un rose féroce, par un violet impitoyable, par un écarlate sanglant.
L’escogriffe galonné me dit :
— Il faut se dépêcher. Le spectacle va commencer bientôt.
Tout de suite, il traduit sa phrase en italien, puis en russe.
Sur un portemanteau, il saisit je ne sais quoi de noir — on dirait un peignoir, mais très long — et me le tend pour que j’enfile les manches. Il ajoute un grand col blanc, légèrement empesé, me tend un chapeau à larges bords, me montre un immense miroir (qui n’était pas là, autrefois). Je me fais l’effet de sortir d’un tableau flamand ; avec ma tête grise, me voilà médecin, ou philosophe, ou juge. Me voilà professeur de quelque chose ; me voilà déguisé en moi-même, mais dans une autre époque.
L’escogriffe galonné me dit :
— Vous avez bien fait de garder votre veste ; il fait froid dans la salle.
Il a parlé russe ; aussitôt il traduit en français, puis en italien.
Nous repartons en grand hâte. Je le suis toujours, le long du couloir. Je ne comprends rien à ce qui se passe.

Ce nom, « l’escogriffe », lui va bien. Tout à l’heure, sur la pelouse, il marchait à ma rencontre, immense, agité, inquiétant ; le regard quasi furieux ; la moue méprisante. On aurait dit qu’il montait à l’assaut.
Maintenant il est un peu plus calme. Où me mène-t-il ?  Il me dit :
— C’est le premier opéra jamais joué en Allemagne.
Il a parlé italien. Et cette fois, il ne traduit pas. Puis il semble avoir un regret. Il répète sa phrase en russe. Pourquoi tient-il à me parler russe ? L’idée, absurde, me vient, qu’il a un faux air de Béloroukov, à supposer que soit réellement Béloroukov le jeune homme que j’ai rencontré autrefois chez Liouba Barkova : même visage sillonné de rides, mêmes pommettes très hautes.(2) Mais que viendrait faire ici Béloroukov ? Et d’ailleurs, ne dit-on pas en tous lieux qu’il est mort ?
Quant à cette formule trop solennelle, « le premier opéra jamais joué en Allemagne », elle est pour moi presque claire : c’est bien de Bontempi qu’il est question.
Nous descendons un escalier. Nous entrons dans une salle, à peine éclairée par une multitude de bougies, qui font une lumière sombre. Il y a là plusieurs dizaines de personnes, sur des fauteuils. Ils sont d’un autre temps. Toutes ces dames, tous ces gentilshommes portent sur leurs habits étranges force rubans, couleur de feu, couleur de rose pâle, couleur de coucher de soleil. Les perruques dominent, monumentales. Des dentelles s’échafaudent sur des boucles. Je pense « fontange », « rhingrave », « pourpoint », mots que j’aurais du mal à définir, mais qui s’imposent, inévitables. Suis-je à la cour du Roi Soleil ?
L’escogriffe galonné me montre un fauteuil vide, qui semble m’attendre, tout près de la scène. J’y suis à peine assis que la musique commence, abruptement. Et la Discorde entre en scène.
Il s’agit bien de Bontempi.
Il Paride, ou Le Jugement de Pâris a été joué à Dresde en 1662. Il se trouve que j’en ai bien étudié le texte ; je l’ai recopié, traduit. Mais je n’ai qu’une vague idée de la musique.
La Discorde gesticule comme l’escogriffe galonné. Mais elle n’est pas, elle, vêtue de vives couleurs. C’est une manière de croquemitaine, qui agite des voiles noirs.
Et je retrouve, épisode après épisode, une histoire que je connais bien.
La musique est plutôt monotone. Bontempi s’est laissé emporter par sa facilité ; il a écrit lui-même son livret, un texte qui n’en finit pas. Les tirades démesurées produisent un récitatif sans relief ; parfois, pourtant, brille une canzonetta d’un joli dessin.
Mais on n’en entend guère dans la scène du jugement. Cette scène est un désert de mots. Devant Pâris, les déesses plaident, les discours s’allongent. On entasse les arguments.
Et je m’endors.

Longtemps après, soudainement, un silence me réveille. Où suis-je, arraché brutalement à la nuit ? Je m’étais perdu dans les cavernes du songe. On jouait le premier opéra jamais entendu en Allemagne. Et moi, j’étais ailleurs, au milieu de tempêtes improbables.
Et maintenant, à quelle époque ai-je abordé ? Suis-je tombé dans un autre siècle ?
Non, je reste lucide, malgré tout, bien que j’aie la cervelle embrumée, et les yeux qui pleurent, à cause des bougies. Si tu me demandais la date, comme on fait à ceux qui ont eu un accident, et peut-être perdu pour un instant conscience, je te répondrais sans hésiter, sans me tromper. Tout ce que je vois, je le sais, se résout en déguisements. Tous ces petits marquis, tous ces graves vicomtes, toutes ces duchesses à tabouret sont des médecins, des banquiers, des antiquaires : ils se donnent un spectacle, ils se donnent en spectacle.
Aimez-vous la musique baroque ? Pour la mieux goûter, portez perruque ; mettez un corset, une double jupe (l’une a nom « friponne », et l’autre « secrète »), ayez partout des rubans, sur les épaules, au bout des manches, sur les chaussures et près des genoux. Vivez emprisonnés dans un lierre de rubans et dans des nuages d’odeurs. Vous aimez la musique du Roi-Soleil ? Portez sa chemise et parlez son langage.
Il se fait un instant de silence : Pâris paraît devant Hélène ; elle frémit. Leurs yeux se sont rencontrés (Dieux ! nous en sommes déjà à l’acte IV ! Combien de temps ai-je dormi ? Ai-je ronflé ? Pendant combien de mesures ?). 
Les trois déesses sont allées dans la montagne ; elles ont plaidé chacune sa cause, avec des arguments ensorcelants. Moi, pendant ce temps-là, je dormais.
Vénus a promis au prince berger la plus belle femme du monde. Elle s’appelle Hélène. Elle a bien un mari, mais qu’importe ? On pourra toujours l’enlever. Allez ! Construisez une flotte ! Traversez la mer ! Entrez hardiment dans la ville de Sparte ! (Moi, pendant ce temps-là, je dormais plus profondément encore).
C’est le silence qui m’a réveillé. Pâris et Hélène se regardent. Et le clavecin se tait. On entend à peine résonner, indéfiniment prolongé, le dernier accord du théorbe.
La musique reprend.
Pâris se lance dans son grand air. Il ne s’agit pas de virtuosité ; ce chanteur-là n’est pas un acrobate. Il s’efforce avant tout « de bien adoucir les sons », comme on disait alors. Et il y réussit merveilleusement. Il me semble — à quoi sent-on cela ? — que je ne suis pas le seul à m’émouvoir. Il court dans la salle comme un frisson.
Pourquoi ai-je l’impression de connaître cette voix ?
Celle d’Hélène ne manque pas non plus de charme. Passe, vêtu d’argent et de bleu ciel, un Amour plus suave encore.
On achève sur des accords à la limite de l’audible. Et le silence se fait.
Ici, semble-t-il, on n’applaudit pas. Mais on toussote, et même on papote.

Nos contemporains sont décidément bizarres. On leur a fait de la musique qui portait leur nom, de la musique « contemporaine », justement, exprès pour eux, toute pleine d’admirables calculs, de mathématiques approfondies, avec des coups de gong à faire hurler d’angoisse, des flûtes d’une acidité suraiguë. On leur a fait ensuite de la musique « post-moderne », parce qu’ils ont eux-mêmes censés avoir crevé le plafond de la modernité. Ils n’en ont pas voulu. Ils se sont précipités sur des partitions depuis longtemps oubliées. Ils ont réclamé des instruments à l’ancienne, des techniques de jeu à l’ancienne, des voix à l’ancienne. Leur passion efface d’un coup trois siècles.  Les voilà purement « baroques ». Ils ont simplement oublié, ou ils ignorent, que si d’aventure ils disaient à  Schütz, ou à Lully : « Vous qui êtes un compositeur baroque… », on leur montrerait grise mine, on leur ferait donner des coups de canne. « Baroque, moi ? Pourquoi pas lunatique ? »
Je n’avais jamais songé que la passion de la viole de gambe et du théorbe pouvait mener au déguisement simple. Autant mettre un chiton pour aller voir une tragédie grecque, une armure pour lire le
Livre du Graal.
Les musiciens eux-mêmes sont déguisés. Postiche, la légère moustache du claveciniste ; ce jeune homme à l’allure militaire est sans doute une jeune fille. Sur la nuque du petit gros qui fait sonner la viole de gambe, la perruque dissimule mal un dragon tatoué, qui vient de l’heroic fantasy. Seul l’homme au théorbe échappe au temps : ses cheveux presque longs, qu’il ne cache pas, seraient aussi vraisemblables sur un portrait de Mignard que sur une photo dans un quotidien d’aujourd’hui.

Un gros monsieur se penche (il n’est, je suppose, ni duc ni pair). Sa perruque vacille, dégringole, et découvre Sibylle.
L’énigme va se résoudre. Je veux croire qu’elle va se résoudre. Tout va se mettre en ordre, comme à la fin d’un roman policier.
Pourquoi jouer, en plein jour, à Sainte-Hélène-la-Dorée, au cœur d’une forêt sauvage, le premier opéra jamais entendu en Allemagne ? Pourquoi Sibylle s’en est-elle mêlée ? Par quelle raison se trouve-t-elle ici, vêtue d’une robe vieux rose, avec des rubans vert Nil ?
Elle pourra, si elle me voit, me retourner la question : « Que faites-vous là, Monsieur le professeur, avec un grand collet et une robe noire ? » Elle m’a toujours appelé « Monsieur le professeur » ; j’ai mille fois essayé de lui remontrer que la chose était inutile. Rien n’y fait.
En fait, je sais pourquoi elle est là. Je sais pourquoi je connais le chanteur. C’est Jonathan Whitehand. Il me semblait pourtant avoir ouï dire que, lasse de ses incessantes infidélités, elle l’avait mis à la porte. Se sont-ils rabibochés ?
Pour l’instant, déguisé en prince berger, il fait semblant de soupirer pour une jolie brunette, travestie en reine de Sparte. Il soupire de manière très convaincante, avec l’aide de la musique. Avec l’aide de la musique, Hélène fait semblant d’atteindre le septième ciel. Jonathan est Pâris.
Le voilà revenu à Troie. Il tient Hélène par la main (Hélène qu’il a volée à son mari). Il la présente au roi son père et à la reine. Le spectacle va s’achever.
Il s’achève. On n’applaudit pas.
Curieux ! Du temps du Roi Soleil, on pratiquait, me semble-t-il, le « brouhaha ». Mais pas ici. On se croirait à
Parsifal, ou à la messe. Décidément, toute cette histoire est baroque. Que suis-je venu y faire ?
Sibylle m’a vu. Elle s’approche. Elle pose la question attendue.
« Que faites-vous là, Monsieur le professeur, avec un grand collet et une robe noire ? »
J’ai l’impression d’avoir, à l’avance, écrit pour elle un rôle, un bout de dialogue, où je dois tenir ma partie.
« Je me promenais dans la forêt proche. Je me suis perdu. J’ai atterri là par hasard. On m’a pour ainsi dire kidnappé, fait entrer presque de force. Je ne m’en plains pas, mais je voudrais savoir par quelle bizarrerie… 
— Où est votre voiture ?
— Je l’ai laissée au village, sans doute assez loin d’ici.
— Je vous y conduirai. Le temps de m’habiller en contemporaine, et je viens vous chercher. Voulez-vous m’attendre dans le hall ? »
Je suis dans le hall de cet hôtel que j’arrive à voir, par moments, comme la maison d’une grande famille en vacances. Le gris souris que je me rappelle persiste malgré la présence du violet et du rose méchant.
J’attends Sibylle.
Je me suis défait de ma défroque : la houppelande et le grand col blanc. J’ai l’air d’un contemporain.
Trois musiciens sont là, qui devisent près de la fenêtre. Ils ont repris leurs jeans et leurs sweat-shirts. Ils ont l’air, eux aussi, de contemporains. Contemporains de quoi ? La claveciniste est une jeune femme ; elle a les yeux rouges à cause des bougies. Le gros homme exhibe un crâne affreusement chauve ; il parle, et d’abondance, avec un accent québécois.
L’homme au théorbe n’a pas changé. Il est lui-même dans tous les siècles. Il tient son instrument dans un étui. Très long étui pour instrument à très long manche.
J’entends leurs paroles.
L’homme au théorbe dit :
« Déception n’existe plus. On l’a débaptisé sans doute.»
Et je bondis (mais si j’avais mal entendu ?).
Un homme, un seul, peut prononcer ce nom (car c’est un nom, un nom de lieu).
Un homme, un seul. C’est celui qui a mis au bas d’une lettre : « Je veux aller à Déception ». J’ai vu la lettre. Anne Gavrel me l’a montrée. J’ai lu le mot : Déception. C’est un lieu dans le grand Nord, sur le bord de la mer qui tout l’hiver se prend en glace.
Un homme, un seul, et c’est celui dont Joël Cauchard disait : « Si le Christ revenait sur terre, ce serait lui, Gildas. »
Cette rencontre-là est la plus forte de toutes celles qui ont eu lieu aujourd’hui. Je sens que mes mains tremblent.
Je vais m’approcher, lui dire : « Êtes-vous allé à Déception ? Ê
tes-vous Gildas ? Pourquoi jouez-vous du théorbe ? Est-il vrai que, tout enfant, vous aviez fabriqué une harpe ? » (C’est Joël Cauchard qui me l’a dit).
Je vais m’approcher, je vais lui parler.

Voilà Sibylle ; elle m’entraîne. Impossible de la faire attendre.
Une tristesse me prend, un désarroi soudain. Je viens de passer à côté de ce qui seul importait. Depuis le temps que j’entends parler de Gildas, je l’ai enfin vu de mes yeux. Il s’en fallait d’un rien que je lui adresse la parole, que je lui pose une question. Et je suis reparti sans rien dire. « Si le Christ revenait sur terre, ce serait Gildas. » Et je n’ai pas tout abandonné pour le suivre. Et je l’ai laissé passer. Pire, je suis parti moi-même.

Je suis assis dans la voiture de Sibylle. Nous allons à Sainte-Hélène-la-Dorée, qui est un tout petit village, à l’orée de la forêt où je me suis perdu tout à l’heure. Je ne dis rien. J’essaie de m’arracher à cet envoûtement invraisemblable dont je suis la victime, depuis que je me figure avoir rencontré Gildas. En fait, pourquoi serait-ce lui ?

Tout cela est absurde, et je le sais très bien. Et pourtant…

 

 

(1) Voir LIGNE DE VIE

(2) Voir REFUS D’AUTOBIOGRAPHIE

Le déroulement du spectacle est raconté en partie par Béloroukov dans AB OVO et par le chevalier de Porcayragues, cité dans RÉCIT DOUBLE.