AKHÉNATON.

Il est d’usage, chez les amateurs de choses égyptiennes, et quand bien même ils sont tout à fait professionnels, de parler d’Aménophis IV avec le plus grand respect, et de s’apitoyer sur le sort de son successeur : Toutankhamon était un enfant, Toutankhamon a été manipulé par les prêtres, Toutankhamon aurait été justement oublié, si le hasard n’avait préservé sa tombe. Mais, vous dit-on, il y a une singulière disproportion entre l’insignifiance du personnage et la magnificence de ces trésors funèbres, dont l’exhibition occupe à elle seule la moitié du Musée.

Aménophis IV, ou plutôt Akhénaton, est le premier roi connu qui ait tenté de penser et d’adorer le Dieu unique. Il ne manquait pas de raisons sans doute, et la preuve est claire : il avait pour épouse la plus belle femme qu’on ait jamais vue, Néfertiti, cette autre Hélène.

Peut-être s’est-il payé ma tête, celui qui a soutenu gravement devant moi cet argument théologique ahurissant : aux polythéistes, Dieu n’accorderait que des laiderons.

Quoi qu’il en soit, peut-on laisser dire avec autant de désinvolture que Toutankhamon n’a rien fait qu’obéir aux prêtres ?

Il faut lire la stèle de restauration ; même à travers le texte traduit, on perçoit une forte émotion : les dieux avaient quitté l’Égypte ; leurs temples étaient déserts, le jour avait perdu sa couleur.

Il faut oser dire : « Le monothéisme est une chose admirable. Il reste que, pour le mettre en œuvre, et quelle que soit la forme qu’il lui a donnée, Aménophis devenu Akhénaton a fait marteler, sur des pierres, le nom d’un dieu. »

Et de fait, on le voit à Karnak — qui est Thèbes. Joël Cauchard l’avait vu, et moi aussi. Le nom d’Amon a été plus ou moins bien effacé. Il arrive qu’on le devine ; même un profane y parvient.

C’est à cela que faisait allusion la stèle. « Les dieux ont été chassés ; les temples changés en ruines. »

« Amon » veut dire « caché ». C’est un beau nom pour un dieu.

Aménophis l’avait rejeté. Nous disons : « Amon » et « Aménophis ». Les savants font parfois mal leur métier. Les Allemands disent : « Amen » et « Amenhotep ». Au moins, c’est clair. (1) Amenhotep-Aménophis est l’adorateur, le serviteur d’Amen-Amon. Serviteur du Dieu caché. Du Dieu invisible, inconnaissable, mystérieux. Du Dieu inaccessible. Je le sais bien : il est probable que le roi n’a pas prétendu choisir un dieu parmi d’autres et anéantir tous ceux qui n’étaient pas lui. Il a probablement voulu croire que tous les dieux étaient le même dieu ; il a choisi Aton comme nom  pour désigner cet Être unique dont il connaissait tant de formes.

Et, du coup, il a écarté ces images auxquels ses sujets étaient attachés avec ferveur, les trinités familiales : Isis, Osiris avec Horus ; Amon, Mout avec Khonsou ; Ptah, Sekhmet avec Néfertoum...

 

Il faut lire la stèle de restauration. Toutankhamon  — il était né Toutankhaton, il a repris le nom du dieu exilé, du dieu meurtri — explique que les dieux avaient fui la terre d’Égypte, que l’ortie poussait dans leurs temples, que les hommes erraient abandonnés. Il exagère sans aucun doute.

Ce mot : « abandonné », ne pouvait pas ne pas toucher Joël Cauchard, qui gardait, comme moi, une grande tendresse pour Toutankhamon.

Lui-même assez mal partagé dans l’existence, il trouvait indigne le traitement que les égyptologues infligent à cet enfant malheureux : personnage pâle, disent-ils, que ce Toutankhamon, gentil garçon sans personnalité, sottement docile entre les mains des prêtres. Qu’en savent-ils ?

Toutankhaton, redevenu Toutankhamon, est-il incapable de se rappeler le dieu qu’il priait dans sa première enfance. ?

 

(1)Les Russes, comme les Français, compliquent les choses. J’avoue ignorer la raison pour laquelle le dieu s’appelle Амон (Amon) et son fidèle Аменхотеп (Amenhotep). Cette voyelle inconstante ne me dit rien qui vaille. Mais je suis un profane.(Note de Béloroukov).

 

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